Les raisons du turnover dans les ESN constituent aujourd’hui l’un des sujets les plus sensibles dans l’univers du numérique.
Malgré un marché florissant, les entreprises de services du numérique (ESN) sont confrontées à un paradoxe : elles recrutent massivement, mais peinent à fidéliser leurs collaborateurs.
Cette réalité fragilise la performance opérationnelle, la qualité des projets et l’image employeur des organisations.
Comprendre les mécanismes de ce phénomène est donc essentiel pour identifier les leviers d’amélioration.
1. Le modèle économique des ESN : un contexte propice à l’instabilité
Le fonctionnement même des ESN repose sur un modèle d’intermédiation : vendre du temps homme.
Cela implique une pression constante sur la rentabilité, la disponibilité, la capacité d’adaptation et le niveau de facturation des consultants.
1.1. Un modèle basé sur la mission, pas sur la carrière
Les consultants alternent fréquemment entre plusieurs clients, équipes, contextes techniques et méthodes de travail.
En théorie, cette variété est un atout. En pratique, elle génère :
- des ruptures répétées dans le sentiment d’appartenance,
- un attachement faible à l’entreprise,
- une impression de “consommation” des compétences.
Le consultant peut rapidement avoir le sentiment d’être un “produit”, plus qu’un collaborateur valorisé.
1.2. Le déséquilibre entre engagement et reconnaissance
L’activité des ESN fluctue selon les projets et la demande client.
Dans ces périodes, certains collaborateurs ressentent une pression accrue :
- être billable coûte que coûte,
- accepter des missions qui ne correspondent pas entièrement à leur expertise,
- faire preuve de flexibilité sans contrepartie visible.
Ce déséquilibre alimente un sentiment d’injustice, qui est l’un des premiers déclencheurs d’un départ.
2. Le manque de perspectives d’évolution : un moteur fort de départs
La fidélisation passe par la projection.
Or, c’est précisément là que de nombreuses ESN échouent : la carrière manque de lisibilité.
2.1. Des parcours peu clairs
Beaucoup de consultants ne savent pas :
- quelles sont les étapes d’évolution dans leur poste,
- quelles compétences leur permettraient d’accéder au niveau supérieur,
- quels objectifs concrets doivent être atteints.
L’absence de roadmap claire fait naître une impression de stagnation.
2.2. Une évolution perçue comme lente ou conditionnée
Les promotions reposent parfois davantage sur la rentabilité que sur les compétences ou le mérite.
Cela crée un sentiment de blocage.
Les consultants les plus ambitieux préfèrent donc rejoindre :
- des startups,
- des scale-ups,
- des entreprises clientes,
- d’autres ESN plus attractives.
3. La quête de sens : un enjeu générationnel
Aujourd’hui, les collaborateurs ne cherchent pas uniquement un salaire ou une mission.
Ils veulent du sens, un impact, une vision.
3.1. Le consultant veut comprendre pourquoi il travaille
Dans une ESN, la distance entre le consultant et la direction peut être grande.
Sans interactions régulières, le sens s’évapore rapidement :
- Pourquoi cette mission et pas une autre ?
- Quel est l’intérêt stratégique de ce projet ?
- Qu’apporte réellement la mission à l’entreprise ?
3.2. Les valeurs affichées vs les valeurs vécues
L’écart entre discours et réalité interne est l’un des accélérateurs les plus puissants du turnover.
Cela se manifeste par :
- des promesses non tenues (formation, accompagnement, montée en compétences),
- un manque de cohérence managériale,
- une politique RH perçue comme déconnectée du quotidien.
Les consultants quittent rarement une entreprise dont ils partagent les valeurs.
Ils quittent celles où ils ne les retrouvent plus.
4. Le management intermédiaire : un rôle central mais fragilisé
Le manager de proximité est la clé de la fidélisation.
Dans les ESN, ce rôle est souvent sous-estimé.
4.1. Des managers sursollicités
Les managers gèrent simultanément :
- des objectifs commerciaux,
- le staffing des consultants,
- le suivi de missions,
- parfois la technique.
Ils manquent de temps pour :
- échanger régulièrement avec les collaborateurs,
- accompagner les parcours,
- écouter les besoins individuels.
Un manager absent est l’un des premiers facteurs de départ.
4.2. Une culture managériale hétérogène
Certaines ESN misent sur le coaching et l’accompagnement.
D’autres se contentent de rapports mensuels ou trimestriels.
Ce manque d’uniformité crée :
- des expériences collaborateurs très inégales,
- une frustration liée à un sentiment d’abandon,
- une incapacité à anticiper les signaux faibles.
5. La rémunération : un facteur important, mais rarement le seul
Le salaire est un thème récurrent dans les départs… mais rarement la cause principale.
Il agit plutôt comme un révélateur d’un malaise existant.
5.1. Une pression du marché très forte
Le secteur IT est ultra-concurrentiel.
Les développeurs, DevOps, ingénieurs cloud, data analysts ou PMO sont très demandés.
Un écart salaire de :
- +10 à +20 %
- parfois même +30 % sur certains profils suffit à déclencher une réflexion de départ.
5.2. L’absence de transparence
Ce qui agace le plus les consultants :
- des augmentations mal expliquées,
- des critères flous,
- des promesses de revalorisation repoussées.
Résultat : la rémunération devient l’argument final pour partir, mais rarement la racine du problème.
6. Le sentiment d’isolement : l’effet “mission longue”
Lorsque les consultants travaillent 100 % chez le client, ils finissent parfois par oublier qu’ils appartiennent à une ESN.
6.1. Une intégration difficile dans l’entreprise
Beaucoup expriment le même ressenti :
- “Je me sens plus du côté du client que de mon employeur.”
- “Je n’ai aucun lien avec mon équipe.”
- “On ne me sollicite que quand il y a un problème.”
6.2. Une distance qui abîme la culture d’entreprise
Sans rituels internes (événements, communication, rencontres…), la marque employeur s’efface.
Un collaborateur déconnecté est un collaborateur fragile.
7. La formation : un terrain miné entre coût, disponibilité et priorisation
La formation est un levier majeur d’engagement.
Pourtant, dans beaucoup d’ESN, elle reste un irritant.
7.1. Des formations promises mais peu accessibles
Contraintes fréquentes :
- manque de budget,
- manque de temps,
- pression client,
- difficultés à libérer les consultants.
Résultat : la montée en compétences est perçue comme du vent.
7.2. Un modèle de formation peu aligné sur les ambitions
Les consultants recherchent :
- certifications cloud,
- montée en compétences DevOps,
- formations Kubernetes,
- spécialisations data.
Mais les ESN proposent encore trop souvent :
- des modules théoriques,
- des catalogues peu mis à jour,
- des formations non alignées avec les ambitions réelles des consultants.
8. Le marché ultra-efficace du recrutement : une tentation permanente
LinkedIn, chasseurs de têtes, offres automatisées…
Les consultants IT sont sollicités chaque jour.
8.1. Une concurrence agressive
Certaines entreprises déploient :
- des salaires attractifs,
- des avantages immédiats (télétravail total, RTT, primes),
- des promesses de projets innovants.
8.2. Une barrière de sortie très faible
En IT, changer de poste est :
- rapide,
- simple,
- faiblement risqué.
Le consultant sait qu’il sera recontacté dans la semaine.
Cela réduit l’attachement et augmente la fluidité des départs.
9. Le décalage entre la promesse commerciale et la réalité terrain
Pour signer un consultant, certaines ESN embellissent :
- les missions,
- les technologies utilisées,
- les perspectives.
Quand la réalité n’est pas alignée :
- déception,
- perte de confiance,
- rupture.
Ce point est l’un des facteurs les plus rapportés par les consultants quittant une ESN.
10. Comment réduire le turnover : les leviers concrets
Voici les actions les plus efficaces pour inverser la tendance.
10.1. Construire un parcours d’évolution clair et transparent
Avec :
- une grille d’évolution réelle,
- des niveaux de séniorité définis,
- des critères de progression transparents,
- un suivi trimestriel qualitatif.
10.2. Professionnaliser le management
Former les managers à :
- la communication,
- l’écoute,
- la gestion des signaux faibles,
- l’accompagnement.
10.3. Renforcer le lien avec les consultants
Mettre en place :
- des points réguliers,
- des événements internes,
- des communautés techniques,
- un vrai sentiment d’appartenance.
10.4. Donner du sens
Expliquer :
- la stratégie,
- la vision,
- l’impact des missions,
- la valeur créée par le travail des consultants.
10.5. Tenir les promesses
Rien n’est plus puissant pour fidéliser.
10.6. Moderniser la politique de formation
Investir dans :
- des certifications reconnues,
- des parcours adaptés,
- des formations avancées cloud, DevOps, sécurité, data.
Le turnover dans les ESN n’est pas une fatalité. Il est le résultat d’un ensemble de facteurs structurels, managériaux et culturels.
Les ESN qui réussissent à stabiliser leurs équipes sont celles qui :
- créent un environnement humain et transparent,
- donnent des perspectives réelles,
- investissent dans la compétence,
- construisent une relation sincère avec leurs consultants.
Comprendre les raisons du turnover dans les ESN, c’est ouvrir la porte à une transformation profonde du modèle, indispensable à la performance et à l’attractivité du secteur.